DEMOISELLES D'ANJOU, quand deux sœurs racontent la beauté en vaisselle…
La première fois que j'ai vu les Demoiselles, j'ai tout de suite eu envie d’immortaliser cette douceur et cette complicité qui sautent aux yeux par un cliché. Mais je ne les connaissais pas encore. Cela aurait été incongru. C'était le samedi 24 novembre 2018. Elles étaient près de leur stand du salon Ob'Art qui se tenait à la Halle des Blancs Manteaux, dans l'incontournable quartier parisien du Marais. Collées l'une à l'autre telles des siamoises, elles m'ont délicatement offert un léger sourire dès que nos regards se sont croisés. À cet instant, j'ai su que nous nous reverrions. Dans cet article, je vous raconte ma journée passée à leur atelier située à Les-Ponts-de-Cé, une petite commune de Maine-et-Loire, à 10 kilomètres du centre-ville d’Angers.
Cléa et Manon Malbezin sont artisanes d’art, spécialisées dans le travail du verre qu’elles détournent subtilement pour créer une vaisselle qui leur va bien, chic et délicate. Les associées puisent leur inspiration dans les codes de la mode traditionnelle tels que les motifs, textures et effets de reliefs que l’on peut trouver sur des textiles.
*** UNE AFFAIRE DE FAMILLE ***
Parcours et personnalités : différentes et complémentaires…
Cléa est la grande sœur du duo d’Anjou. Née à St-Maurice, dans le Val de Marne, elle est aujourd’hui âgée de 33 ans. C’est une femme à la sensibilité à fleur de peau comme moi, volubile et débordant de créativité, avec un parcours déjà bien riche pour son âge. Une artiste que j’ai eu la chance d’observer en pleine expression créative dans son atelier.
Depuis toute petite, Cléa est attirée par les activités manuelles et créatives, notamment grâce à sa grand-mère qui l’a initiée à la peinture et à la couture. C’est donc un peu naturellement qu’au moment de choisir sa formation supérieure, elle s’oriente vers le design. Elle obtient un BTS Design de Mode, Textile et Environnement option Textile, Matériaux et Surfaces. Puis, poursuit par une Licence en Décoration d’intérieur dans le cadre d’un programme ERASMUS en Grèce à Athènes avant de terminer son cursus par l’obtention d’un Master en Design global, option Verre, Design et Architecture. Pendant ces années d’apprentissage en France et à l’étranger, elle a l’occasion de s’essayer à différentes techniques comme la céramique, le maquettisme, le batik africain, le wax et le shibori. Trois ans avant la création de Demoiselles d’Anjou, elle s’expatrie en Autriche par amour. Elle va y enseigner le français et y pratiquer la peinture à l’acrylique sur son temps libre mais ce n’est pas suffisant. Face à son incapacité à combler son manque d’expression créative dans cet environnement, sa frustration monte.
Manon, la benjamine de 25 ans, est née à Melun, en Seine-et-Marne. C’est pour moi la force tranquille du couple Malbezin : celle qui apaise et qui n’hésite pas à canaliser Cléa, toujours avec douceur, quand cette dernière part dans des projets créatifs trop éloignés de leur carnet de route. D’un tempérament calme et plus réservé au début, elle s’est ouverte tout doucement à moi, à son rythme, telle une fleur au printemps. À la différence de Cléa, Manon est plutôt dans l’analyse et dans l’observation de ses interlocuteurs. Cela lui permet de prendre en considération leurs besoins pour y répondre efficacement. Une petite sœur qui porte une grande affection à sa grande sœur et qui ne se décharge pas sur elle sous prétexte d’être moins expérimentée. Elle sait prendre sa place et apporter des solutions bénéfiques aux deux. J’ai adoré essayer de cerner la personnalité de la mystérieuse Manon.
Au niveau professionnel, Manon est titulaire d’un BTS technico-commercial spécialisé dans la production florale et maraîchère. Ça ne m’étonne pas de cette femme amoureuse du beau.
Après une grande partie de leur enfance passée en Seine et Marne, la famille déménage en Bretagne à Lorient où les sœurs vont résider jusqu’à leurs études supérieures. Elles ont donc, depuis très longtemps, développé flexibilité et capacité à s’adapter à de nouveaux environnements, à des situations imprévisibles. Des qualités qu’elles mettent en action avec brio pour leur marque Demoiselles d’Anjou.
La décision de monter une entreprise ensemble : motivations ?
Début 2016, Cléa rentre en France après plusieurs années passées à l’étranger. Sa forte envie de vivre d’art et de design à plein temps ne l’a pas quittée. Elle a envie d’entreprendre dans son pays mais pas n’importe comment et surtout pas avec n’importe qui.
Parallèlement, Manon termine sa deuxième année de BTS technico-commercial. C’est donc tout naturellement que Cléa se tourne vers sa sœur pour lui soumettre son idée. Manon est d’abord hésitante mais finit par accepter de relever ce challenge avec sa sœur.
Elles sont conscientes que dans la création d’une entreprise, la rentabilité est rarement au rendez-vous dès les premiers mois, elles sollicitent donc l'aide de leur maman qui vit alors à Angers et qui va s’engager à les loger et à les nourrir pendant les trois premières années d’existence de Demoiselles d’Anjou. Ses filles étant célibataires à ce moment-là, c’est l’option parfaite pour elles, bien qu’elles sachent qu’il va falloir faire des sacrifices.
*** DE LA FAMILLE À L’ENTREPRISE ***
Les débuts des Demoiselles d’Anjou
En septembre 2016, les sœurs sautent le pas. Elles passent de la famille à l’entreprise en devenant associées. Leur duo complémentaire, tant au niveau du savoir-faire que du savoir-être, fonde Demoiselles d’Anjou sur des valeurs fortes que sont l’amour, le respect, la franchise et l’excellence. Leur alchimie et leur complicité semblent inébranlables face aux aléas de la vie. L’amour qui les lie est plus fort que la peur. Les deux partagent le sens des responsabilités, de l’auto-critique et du travail bien fait toujours dans un esprit d’amélioration et de valorisation de l’artisanat français.
Après des premiers tests réalisés dans le garage de leurs parents, l’opportunité d’avoir un atelier près d’Angers se présente. Elles s’installent ainsi à l’atelier Rive d’Arts situé sur le site d’une ancienne usine de fabrication d’hameçons transformée par la ville en 2016. En bordure de la Loire, cet espace de création et d’exposition compte une dizaine d’ateliers d’artisanat et de nouvelles technologies. C’est le début de leur première vraie expérience professionnelle qu’elles entament avec derrière elle un parcours déjà bien diversifié et un mental d’acier.
L’objectif dès le départ est de se spécialiser dans une vaisselle d’exception qui crée la surprise par un jeu de textures sur verre. C’est leur signature. Leur cœur de cible ? Les restaurateurs gastronomiques et tables étoilées.
Pour donner vie à leur projet, elles ont recours à un prêt bancaire personnel et, grâce au FONDES - France Active Val de Loire (financement solidaire pour l’emploi), un autre petit prêt complémentaire à taux zéro avec une garantie Égalité Femmes (ex-FGIF) couvrant à hauteur de 70% leur prêt bancaire en cas d'échec. En outre, en tant que jeunes femmes, elles ont le droit à une prime jeunesse et une prime femme entrepreneure. Une campagne de financement participatif sur la plateforme Ulule leur a aussi permis de financer leur premier four. Voilà pour l’aspect économique. Imaginez tout le temps passé et les démarches qu’elles ont dû faire, parfois sans garantie de réponse favorable ! Il est donc important, je pense, d’avoir une grande motivation, de croire en son projet et aussi d’y être totalement dévoué pour pouvoir faire preuve de force et de patience à chaque étape de sa création.
Cléa et Manon font aussi appel au réseau BGE (Boutique de Gestion et d’aide à la création d’entreprise) auprès duquel elles bénéficient d’un accompagnement personnalisé pour la mise en place du projet (business plan) et des dispositifs d'aides financières auprès d’autres organismes. Aujourd’hui encore, elles peuvent y rencontrer un conseiller tous les deux mois pour un suivi de leur activité.
À la question est-ce qu’il est possible de se lancer dans la création d’une entreprise seul(e), sans aucune aide financière ni soutien moral, les sœurs Malbezin m’ont répondu ceci :
Non ce n'est pas possible. La simple motivation pour un tel projet ne suffit pas ! Sans l'aide de notre mère qui nous loge et nous nourrit gratuitement, nous n'aurions jamais pu subvenir aux nécessités du quotidien. Le soutien de ses proches ainsi que la compréhension sont également très importants. C'est un projet de longue haleine ponctué de hauts et de bas et il est primordial que l'entourage comprenne bien cela pour ne pas rajouter de pression supplémentaire. Les proches doivent comprendre que c'est le projet d'une vie auquel on s'investit corps et âme.
Les victoires des Demoiselles d’Anjou
Nous sommes fières d’avoir créé notre métier sur-mesure.
L’une des spécificités du statut d’entrepreneures que les deux sœurs apprécient particulièrement est le privilège de travailler/créer en autonomie et de gérer leur temps sans intervention d’une hiérarchie.
Après un coup dur suite à la perte de leur premier concours notamment en raison de l’incompréhension de leur projet par le jury qui leur a demandé qui leur fournissait leurs assiettes, leur travail est enfin reconnu en 2018. Ainsi, le 8 mars 2018, lors de la Journée internationale des droits des femmes, elles remportent le Prix Entrepreneures de Talent dans la catégorie Jeunesse, concours initié par la Chambre des Métiers et de l’Artisanat des pays de la Loire. Une belle victoire qui les motive à continuer à se battre pour leur métier-passion.
En trois ans, elles ont réussi à créer une identité forte et à faire grandir Demoiselles d’Anjou avec la mise en place de collaborations avec des restaurants gastronomiques et des chefs étoilés : 18 partenariats au total en mars 2019. Elles ont également obtenu plusieurs parutions à la télévision (France 3) et dans la presse (Côte Ouest, Kostar, le Courrier de l'Ouest, etc.).
Elles sont adhérentes aux Ateliers d’Art de France et leur vaisselle de luxe est actuellement en exposition-vente au concept-store des métiers d’art Empreintes Paris. Elles arrivent aussi à faire voyager leurs assiettes grâce à des ventes à l’international ponctuelles possibles lors de salons comme Ob’Art, au cours desquels elles peuvent rencontrer une nouvelle clientèle. Un américain leur a par exemple passé une belle commande livrée aux Etats-Unis suite à un coup de cœur au salon Ob’art.
Crédit photos : Demoiselles d'Anjou
*** LES DEMOISELLES AUJOURD’HUI ***
Demoiselles d’Anjou est une marque de vaisselle élégante et de caractère, à l’image des sœurs Malbezin. Elle se distingue par sa délicatesse, ses couleurs pastel et sobres (gris, rose, hyacinthe, blancs,), ses motifs subtils et chics, ses formes originales (décentrage, nouvelles idées de présentation dans l’assiette…). C'est aussi une vaisselle qui surprend car tout le travail d'embellissement réalisé par Cléa et Manon vous fait oublier qu'il s'agit de verre.
C’est une vaisselle moderne avec des codes traditionnels.
Crédit photos : Demoiselles d'Anjou
Les challenges du quotidien
C’est l’amour de notre travail et notre amour fraternel qui nous aident à surmonter les difficultés car chacune de nous sait qu’elle n’est jamais seule. Manon est ma moitié. En travaillant avec elle, je me sens plus forte. Cléa
Les deux entrepreneures sont fières d’avoir réussi à mettre le projet sur pied, à tenir dans le temps et à tout gérer à deux depuis 2006. Même si elles rencontrent parfois des difficultés liées à leurs charges (remboursement emprunt, loyer atelier, mauvaise optimisation de leurs locaux, taxes et assurances), à la production (pertes parfois liées à quelques surprises au niveau des pigments ou à la cuisson, côté répétitif de certaines tâches) ou à la prospection (manque de temps pour communiquer, coût des déplacements pour rencontrer leurs clients), elles restent pleinement dévouées à leur activité.
Un autre challenge est la communication. Occupées à l’atelier et dans la gestion de l’administratif, des rendez-vous clients et des livraisons, elles n’ont pas beaucoup de temps à dégager pour se faire connaître. Leur site internet n’est pas assez visité et elles aimeraient avoir plus de ventes sur leur boutique en ligne. Elles sont tout de même présentes sur Instagram où elles mettent de temps en temps en scène leurs assiettes dans un style décalé. Cela leur a permis de décrocher quelques commandes mais globalement, ça reste insuffisant. Il leur faudrait plus de partenariats avec des professionnels de la restauration et de ventes aux particuliers pour faire de Demoiselles d’Anjou une entreprise rentable.
Le binôme déplore le manque de visibilité de leur nom de marque sur la vaisselle vendue aux restaurateurs car cela pourrait être un canal d’accès à des ventes pour une clientèle de particuliers sensibles à la gastronomie et donc probablement aux beaux objets qui lui sont associés. Il est aussi difficile, particulièrement pour Cléa, d’entendre parfois des remarques blessantes de quelques visiteurs, heureusement minoritaires, sur le prix de vente de leurs créations présentées lors de salons.
Enfin, au niveau personnel, la situation des deux femmes n’est plus celle d’il y’a trois ans. Chacune d’elles est maintenant en couple, avec des conjoints résidant dans deux villes différentes d’Angers. L’une est plutôt citadine et l’autre plutôt nature ce qui rend plus difficile la colocation chez leur mère à Angers. Toutefois, elles restent solidaires, patientes et sont en pleine réflexion pour y remédier. Pour l’instant, elles vivent ensemble en semaine et s’accordent du temps pour leurs nouvelles moitiés le week-end.
Au niveau du rythme d’activité, elles ont des journées bien pleines car elles travaillent en général de 8h30 à 18h00 avec 30 minutes de pause déjeuner quand elles sont en période de production. Il leur arrive aussi de venir à l’atelier le week-end si nécessaire. Quand elles sont en déplacement pour des rendez-vous professionnels ou de la prospection, elles peuvent avoir des journées encore plus longues, jusqu’à 15 heures. Enfin, elles s’obligent à prendre 4 semaines de vacances à l’année pour recharger leurs batteries.
Impressionnée par tant de maturité, de courage et de patience à toute épreuve, je leur ai demandé quelles étaient pour elles les qualités indispensables pour entreprendre et continuer à avancer dans les moments difficiles. Elles m’ont répondu ceci :
Il faut être passionné, déterminé, patient, ambitieux et courageux. Il est aussi important de garder son sang-froid, de rester professionnel en toutes circonstances mais aussi de savoir imposer ses règles et sa philosophie d'entreprise. Enfin, il faut bien sûr savoir se remettre en question et être à l'écoute des bons conseils.
Les stratégies déployées pour continuer et grandir
Afin de dynamiser Demoiselles d’Anjou, les fondatrices n’hésitent pas à se priver et à mettre en place des actions pour accompagner leur bébé dans sa croissance.
Ainsi, avec intelligence et prudence, elles font attention à ne pas garder de stock. Elles produisent généralement après obtention de commandes fermes. Elles font avancer l’entreprise tout doucement, pas à pas. Les moules sont achetés progressivement et les commandes aux fournisseurs se font en petites quantités pour des raisons d’optimisation de budget et d’espace.
Toujours dans une démarche de qualité et de réponse à la demande du marché, elles ont aussi des sessions de développement de nouveaux produits en fonction de leurs envies, des tendances et des demandes des chefs. C’est le cas par exemple pour les cuillères apéritif et bougeoirs que vous pouvez retrouver sur leur e-boutique.
Cléa et Manon travaillent aussi maintenant par collection semestrielle, en proposant différentes finitions (mat, satiné, opaque) et différents motifs graphiques déclinés entièrement ou en touche. Elles s’adaptent aux demandes et sont capables de créer d’importantes gammes sur-mesure, toutes identiques ou dépareillées mais qui fonctionnent quand même bien ensemble.
Enfin, les deux entrepreneures essaient de développer la prospection de restaurateurs en dehors de l’Anjou pour conquérir de nouvelles tables. Si un jour elles devaient quitter Angers pour un atelier plus adapté à leurs besoins, elles tiennent à rester dans les Pays de la Loire, une région qu’elles aiment beaucoup. Peut-être en s’installant au Mans ou à Tours, deux villes dynamiques et géographiquement bien situées par rapport à Paris, un nouveau marché très prometteur qui s'ouvre à elles depuis peu.
*** ET DEMAIN ? ***
Rêves d’entrepreneures
Parmi leurs priorités, Cléa et Manon espèrent pouvoir bientôt collaborer avec des chefs étoilés connus en France et à l’étranger, une marque de reconnaissance de leur travail qui leur permettra de se faire connaître plus seulement au niveau régional mais aussi national et international.
Elles aimeraient aussi toucher le marché extérieur friand d’artisanat français en participant à des salons internationaux pour dénicher de nouveaux contrats.
Nous aimerions acquérir deux nouveaux fours et étendre notre zone de chalandise à l’international. Manon
Enfin, et ce qui m’a profondément affectée dans cette merveilleuse histoire, est que ces femmes, artisanes et entrepreneures de talent rêvent encore de pouvoir vivre de leur métier car malgré tout leur investissement et leur travail honorable, elles ne peuvent pour l’instant pas encore se verser un salaire.
Opinions et rêves de femmes
Pour finir cette immersion, j’ai posé quelques questions supplémentaires à Cléa et Manon sur leurs visions de l’artisanat et de la vie en général. Ci-dessous leurs réponses.
Quel est votre sentiment aujourd'hui en tant que dirigeantes d'entreprises ? Et en tant que femmes ?
Nous sommes fières d'être cheffes d'entreprise et d'avoir entrepris cette belle et riche aventure. Nous sommes fières de notre parcours, de notre marque et des produits que nous créons chaque jour. Nous ne regrettons rien même si ce n'est pas tous les jours facile. Être cheffe d'entreprise procure une liberté extraordinaire, permet d'avoir une grande ouverture d'esprit. C'est un accomplissement personnel formidable !
Que pensez-vous du secteur de l'artisanat français et international ? (situation, challenges, avenir, ressources, difficultés, …)
Le secteur artisanal revient peu à peu sur le devant de la scène. Les gens sont de nouveau sensibles au Made in France et aux productions locales. Ils sont sensibilisés au travail fait avec cœur et passion. Il faut espérer que cet engouement perdure et permette aux petites entreprises de se développer. Encore beaucoup de progrès peuvent être envisagés pour aider nos entreprises à mieux se développer, surtout en termes d'allègement des charges qui restent encore bien trop élevées. Les aides aussi pourraient être améliorées. N'oublions pas que l'artisanat est la richesse d'un patrimoine et d'un savoir-faire national et culturel.
En tant qu'artisanes d'art françaises, quel est votre regard sur l'artisanat issu du commerce équitable ?
Nous pensons que c'est une très belle démarche, respectueuse et intelligente. Malheureusement tout le monde ne peut pas prétendre à ce label car toutes les techniques artisanales ne s'y appliquent pas forcément.
Quelle est votre philosophie de vie ?
Croire en ses rêves et ne rien lâcher. Ne faire confiance qu'à soi-même.
Si on vous donnait une baguette magique, que changeriez-vous concrètement dans notre monde ? Et dans votre vie ?
Nous changerions la cruauté des hommes entre eux et envers les animaux. Nous insufflerions le respect de la planète et la pleine conscience de notre environnement que l'on tue tous les jours un peu plus. Concernant notre vie, nous essayerions d'être heureuses sans trop nous torturer l'esprit et nous profiterions de nos proches car la vie est trop courte pour ne pas le faire !
DÉCOUVREZ LE PROCESSUS DE FABRICATION !
Cléa et Manon sont si généreuses qu’elles ont accepté de partager aussi leur processus de fabrication. En bonnes gestionnaires, les deux sœurs se sont aussi réparties les tâches pour la production. Quand Manon gère les moules et les fours, Cléa s’occupe de la coupe et de la décoration. J’ai été bluffée de les voir préparer parallèlement des commandes et des livraisons dans une organisation parfaite. Chacune a la maîtrise de sa part du travail et n’hésite pas à solliciter l’autre en cas de besoin. J’ai été aussi surprise de constater que Cléa avait tout son travail créatif en tête. Elle n’utilise ni logiciel de DAO ni dessin manuel avant de commencer la décoration. Elle donne vie à ce qui est très précis dans son esprit en dessinant à main levée ou en utilisant la technique du pochoir.
Lors de ma journée d’observation, j’ai aussi eu l’opportunité de mettre la main à la patte mais pas longtemps car j’étais vite déçue par ma faible dextérité. Je me suis vite sentie fatiguée aussi car tous les membres sont sollicités : pour sélectionner et porter les tranches de verre brut, les couper, les poncer, pour préparer les moules, aller chercher des assiettes cuites au fond du four, bien disposer tous les éléments du four, laver et nettoyer la vaisselle avant de l’emballer, répondre au téléphone, …
Les outils principaux nécessaires à la fabrication sont : gants et lunettes de sécurité, tournettes, coupe-verre avec mollette diamantée, pinces pour la coupe à main levée, huile de coupe, maillet et tapis.

Voici donc un résumé des 9 principales étapes de fabrication de la précieuse vaisselle Demoiselles d’Anjou :
1/ Découpe du verre float extra clair et extra plat (4cm) livré par une miroiterie locale.
2/ Meulage des tranches du verre à la meuleuse. Cette étape consiste à poncer les tranches du verre pour qu’elles ne soient plus coupantes.
3/ Nettoyage du verre pour éliminer toutes les traces et saletés.
4/ Saupoudrage des pigments de verre à la surface du verre. Ces pigments sont du verre float teinté dans la masse puis broyé à l'état de sucre glace.
5/ Dessin, pochage et évidage pour définir le motif à la surface du verre.
6/ 1ère cuisson à 800 degrés pour fixer la poudre au verre (30 heures). Avec l’expérience, elles ont créé un carnet de températures qui recense les différentes températures qui changent selon les modèles.
7/ 2de cuisson entre 750 et 840 degrés pour donner la forme finale à l'objet (30 heures). En parallèle, conception de moules uniques dans des panneaux de fibre céramique réfractaires, très légers et fragiles qui nécessitent une grande minutie. Quelques moules en céramique disponibles mais plus long à avoir car commande spéciale sur mesure à faire.
8/ 2nd meulage des tranches du verre.
9/ Nettoyage final de l'assiette.
La conception d'une assiette se fait en plusieurs étapes. Il est donc difficile d'estimer son temps de production. Mais en prenant en compte les deux cuissons de 30 heures et la réalisation, il faut compter 5 jours pour avoir un produit fini sachant qu’il est possible de réaliser 20 assiettes en même temps.
En hommage à leur ville d’accueil, les Demoiselles d’Anjou ont choisi de donner à chacun de leur modèle le nom d’une commune de l’Anjou. Ainsi, vous pourrez découvrir sur leur site internet la Segréenne, l’Angevine, la Beaufortaise, la Vannetaise, …qui correspondent à une taille et un motif de leur collection.
Nous sommes à la fin de l'histoire mais vous pouvez continuer à suivre les Demoiselles d'Anjou sur leur site internet www.demoisellesdanjou.com et sur Instagram @demoiselles_danjou.
L'artisanat est un savoir-faire précieux. J'aimerais en conclusion exhorter les personnes qui ne cessent de négocier les prix en artisanat à plutôt s'intéresser aux artisans, à l'origine de l'article qu'ils souhaitent acquérir. Se questionner sur l’origine, sur les personnes qui ont conçu l'objet, sur les étapes de fabrication qu'il a fallu suivre pour arriver au résultat final, sur tout le travail de création, de finition, sur les charges liées à l'activité… permet de mieux comprendre le travail de l'artisan et surtout de le respecter même s'il n'est pas accessible à notre bourse. Les expressions comme « ce n’est pas donné » ou « c’est cher » devraient être suivies de « pourquoi ? » et d'un dialogue. Qu'en pensez-vous ?
Consommer local est aussi important pour préserver l’artisanat français et l’économie en général. On peut apprendre à consommer moins mais mieux, plus intelligemment et plus raisonnablement. Ce serait dommage d'arriver à un point où ce ne sont principalement que les étrangers qui achètent de l’artisanat français et qui le valorisent. J’ai effectué ce constat en 2015 avec l’artisanat de mon pays d’origine le Bénin et j’en ai été écœurée. Beaucoup de Béninois préfèrent le "Venu de France" ou le "Made in Nigeria" pour bon nombre de biens de consommation et d'accessoires comme le mobilier, les bijoux ou les articles de décoration, parfois plus chers que l'offre locale alors qu'on a la chance d'avoir en Afrique des artisans talentueux travaillant différents matériaux et proposant tous du sur-mesure à un excellent rapport qualité-prix. Je ne réalisais pas que la précarité de l’artisan était universelle, pouvait aussi toucher durement les artisans des pays dits du Nord. Je pense que si nous en prenons conscience, nous pouvons encore changer la donne. Nous avons le droit de ne pas aimer mais il est plus juste de faire la différence entre goûts personnels et savoir-faire incontestable. Non ?
J’ai développé de l’admiration et de l’affection pour Cléa et Manon en apprenant à les connaître. J’ai été bluffée par leur courage, touchée par leur authenticité et leur complicité. L’idée de créer ensemble, le soutien moral à toute épreuve, l’amour inconditionnel, la complicité, … sont des caractéristiques des Demoiselles d’Anjou qui m’ont beaucoup fait penser à ma relation avec ma petite sœur Allegra à qui je dédie cet article et à qui je veux rappeler combien je l’aime malgré les 6600 kilomètres qui nous séparent. Une grosse dédicace aussi à mes autres sœurs pour ne pas faire de jalouses (vous savez que je vous aime autant ;-)) et à toutes les femmes qui se battent chaque jour pour réaliser leurs rêves et défendre leurs valeurs par de nobles actions.
Mille merci aux Demoiselles d’Anjou pour leur confiance et à vous aussi qui arrivez à la fin de cet article malgré sa longueur ! Si vous avez aimé cette histoire, laissez un commentaire ci-dessous et partagez-là à votre tour à vos proches pour inspirer et contribuer à la valorisation de l'artisanat d'art français. À très vite pour une nouvelle histoire Made in France !
Avec tout mon cœur
Vanessa Lokossou