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MASAO ISHIKAWA, le maître teinturier qui vit au rythme de l'univers…

En décembre dernier, j'ai eu l'opportunité de rencontrer Masao Ishikawa lors de son court passage à Paris dans le cadre des Japonismes 2018. Une heure passée sur son stand m'a suffi à vouloir en apprendre plus de ce monsieur au grand cœur. Je suis donc très enthousiaste et fière de partager avec vous cette nouvelle histoire dans laquelle il sera question de reconversion professionnelle, de culture japonaise, de point de vue d'un étranger sur Paris et enfin de philosophie de vie.

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MASAO ISHIKAWA, un homme qui dégage une sérénité et une douceur exceptionnelles.

L’HOMME, L’ÉPOUX & LE PÈRE


Vous avez une aura exceptionnelle. Un calme et une présence qui interpellent. D’où vous vient cette sérénité communicative ?

Merci beaucoup pour votre commentaire. Si vous avez ressenti cela, c’est moi qui aimerais en savoir la raison. C’est probablement lié à mon style de vie. J’ai perdu mon meilleur ami quand j’étais au lycée. Depuis, j’ai commencé une réflexion profonde sur le sens de la vie. Dans cette quête, j’ai lu de nombreux livres sur la religion et la philosophie. C’est ainsi que j’ai découvert que le bouddhisme zen me convenait le mieux. J’ai décidé de pratiquer le Zazen (posture de méditation assise), le Sadô (cérémonie du thé) et le Kendô (art martial) qui me font beaucoup de bien.

Aujourd’hui, je vis essentiellement pour que les personnes de mon entourage et celles que je croise se sentent bien en ma présence. C’est le but de ma vie.

Pouvez-vous nous parler de votre enfance ? Avez-vous toujours vécu au Japon ? Qu’aimez-vous le plus dans ce pays ?

J’ai grandi au Japon. À l’âge de 27 ans, je suis parti vivre à l’étranger pour mes études universitaires. C'était aux États-Unis. J’y suis resté quatre ans et demi puis suis revenu au Japon pour enseigner l’anglais.


En ce qui concerne ce que j’aime au Japon, il y’a le tofu au niveau culinaire et la pensée japonaise dans son ensemble. Nous sommes une partie de la nature et de l’univers. Même dans la physique, toutes les substances se constituent par l’énergie. Autour de nous, il y’a plein d’énergie même si nous n’y prêtons pas attention. L’énergie entre dans notre corps et sort pour continuer sa route. Nous sommes donc tous reliés.


Êtes-vous plutôt ville ou campagne ? Plutôt été ou hiver ? Pourquoi ?

Je suis plutôt campagne mais je prends tout de même plaisir à me rendre parfois dans les grandes villes. Ma maison se trouve à la campagne. Lorsque je cultive des légumes ou que je travaille mes teintures dans la nature, je me sens bien.


Je préfère l’été à l’hiver parce que l’on peut récolter beaucoup de légumes pendant cette saison. Pour la teinture, c’est aussi une période favorable car les tissus sèchent plus vite à ce moment-là. Tous les produits que je cultive sont biologiques. En hiver, je cultive principalement du radis japonais et du chou chinois. En été, je peux faire des tomates, des melons et des aubergines. Les seules fois où j’achète des légumes, c’est quand je ne peux pas les cultiver à cause du mauvais temps.

Quel est votre style de vie ? Plutôt minimaliste ?

Mon style de vie se résume à deux mots : simple et bon. Je n’ai pas besoin de beaucoup de choses tant que la qualité est là.

On n’a pas besoin d’être prisonniers de notre soif du gain.

L’une de mes auteures préférées est Dominique Loreau, une essayiste française qui réside au Japon depuis la fin des années 1970. Elle a écrit un livre très intéressant qui s’appelle « L’art de la simplicité » et qui parle des avantages du minimalisme sur le corps et l’esprit. Je l’ai lu il y’a une dizaine d’années et il m’a permis de prendre conscience de ce qui pour moi était vraiment essentiel et de mener une vie plus simple. Est-ce vrai que les Japonais sont minimalistes ?

Je ne connais pas cette femme et suis curieux d’en savoir plus sur ses essais.


Je ne peux pas distinguer si de nos jours les Japonais sont minimalistes ou pas mais je pense que les citoyens de l’époque d’Edo (1603 à 1868) l’étaient car ils vivaient avec le minimum, dans de très petits espaces d’environ sept mètres carrés.


Parlez-nous un peu de votre rencontre avec la teinture naturelle. Pourquoi ce choix ? Depuis quand exercez-vous ce métier et quel a été le déclic ? Est-ce votre activité principale à temps plein ? Avez-vous une autre formation ?

Ma femme et moi avons eu une fille qui à sa naissance avait la peau très fragile. À ce moment, nous vivions à Osaka. Je faisais en sorte d’acheter et de manger des légumes biologiques. Quelques temps après, je suis parvenu à l’idée que les vêtements aussi étaient très importants. C’est ainsi que j’ai commencé la teinture naturelle dans ma cuisine avec un livre et de la laine. Les fils que j’ai teint était vraiment beaux. J’ai tricoté des pulls à ma fille avec les fils de laine et elle se portait bien ainsi.


Comme je voulais élever ma fille dans un environnement où l’eau et l’air sont purs et que je souhaitais cultiver mes légumes sans produit chimique agricole, j’ai déménagé à Fukui en 1989. J’étais toujours professeur d’anglais à ce moment-là.


Vers 1992, j’ai reçu des demandes pour présenter mes créations et donner des cours de teinture naturelle. Je me suis fait connaître petit à petit jusqu’à pouvoir venir exposer à Paris dans le cadre d’Instant Japan.


Je suis heureux car je rêvais de travailler avec la nature depuis mon enfance mais je n’avais jamais pensé à la teinture naturelle.

L’ARTISAN & L’ARTISTE


Quels sont les éléments indispensables pour réussir une teinture naturelle ? Est-ce uniquement à base de plantes ou alors c’est possible avec des fleurs et autres produits naturels ?

On utilise du bois, des branches, des feuilles, des écorces, des fleurs et des racines. Il y’a aussi des minéraux et de l’encre de Chine qui entrent dans la composition de la teinture. Enfin, une bonne météo est nécessaire pour sécher les tissus convenablement.


Pouvez-vous nous expliquer brièvement les principales étapes de la teinture naturelle ?

Je cueille des plantes puis les coupe et les fait bouillir.

Après cuisson, je garde le liquide que je fais à nouveau bouillir entre 60 et 70 degrés Celsius.


Avec motivation et passion…


Quelles plantes utilisez-vous et quelles sont les couleurs associées ?

J’utilise principalement :

- l’indigotier (bleu)

- la garance (rouge)

- le sophora du Japon, le kariyasu (jaune)

- le millet (gris)

- le noisetier et le kaki (marron)

- l’armoise (vert)

Toutes vos teintures sont-elles faites par vous-mêmes à domicile ou avez-vous aussi des fournisseurs japonais ?

Je fais les deux. La proportion est à peu près de moitié entre la production locale et extérieure.


Je cultive l’armoise, le millet, le noisetier, l’indigotier, le kariyasu et d’autres encore… Les teintures que j’achète sont la laque, la cochenille, le kaki, … Elles sont fabriquées au Japon ou à l’étranger.


Comment travaillez-vous ? Seul ou avec d’autres teinturiers ?

Généralement, je teins seul dans mon atelier situé à mon domicile mais de temps en temps, ma femme ajoute sa touche à mes teintures indigo en y dessinant des motifs avec de la poudre de bronze.

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Décembre 2018, Masao Ishikawa entouré de son épouse et de Hideyuki Kawabata lors du salon Instant Japan à la galerie Joseph.

Dessinez-vous vos pièces avant de les teindre ? Vous considérez-vous comme un artiste ou un artisan ? Est-ce un processus créatif pensé en amont ou plutôt spontané ? Quel est votre étape préférée ?

Je ne pense pas pouvoir me qualifier de designer même si j’espère qu’un jour je saurai bien dessiner.


Pour le moment, je dessine un peu avant de démarrer une nouvelle teinture mais cela dépend de la technique. Pour certaines, il n’est pas nécessaire de dessiner préalablement. Il arrive aussi que le projet change au fur et à mesure. Par contre, je suis chanceux d’avoir une femme qui elle, dessine très bien.


Je suis à la fois artiste et artisan : artisan quand je répète le même travail plusieurs fois et artiste dans le travail créatif.


Mon étape favorite est lorsque je retire les ficelles ou les pinces qui ont été fixées au tissu avant de le plonger dans le bain car c’est seulement à cet instant que je peux voir le résultat de mon travail.


Ma couleur préférée est le bleu. J’aime aussi le vert en association au bleu car je trouve que les deux communiquent merveilleusement bien. C’est aussi peut-être pour cela qu’inconsciemment je me suis sentie si bien sur votre stand d’Instant Japan et que j’ai voulu immortaliser cette rencontre par écrit. Et vous, quelles sont vos couleurs favorites ? Que symbolisent-elles pour vous ?

J’aime l’indigo parce qu’il me va bien et peut-être aussi que c’est lié à la spiritualité. Depuis quelques temps, je commence à aimer le rouge aussi.


Que voulez-vous dire par "spiritualité" ?

On a le chakra dans notre corps. Au milieu de notre front, il y a le chakra dont la couleur est l’indigo. C’est la raison pour laquelle j’ai le sentiment que cet intérêt pour l’indigo est aussi lié à la spiritualité.


Monsieur Ishikawa en plein travail…